Nature et grâce, corps et âme

On assiste ces dernières années à un besoin croissant de retour à la nature, au « bio », à l’écologie (au sens restreint du souci du vivant). Dans sa dernière conférence de Carême, à la Cathédrale de Paris, le Philosophe chrétien Fabrice Hadjadj médite longuement sur le fait que « le Verbe s’est fait charpentier ». Il parle de Jésus qui, s’il est connu comme enseignant et maître, s’est d’abord fait ouvrier, manœuvre. Certainement pas par besoin de « retour à la nature » ! Encore que…

Jésus a d’abord choisi de travailler de ses mains (manœuvre signifie littéralement : celui qui accomplit un travail manuel !). Dommage pour tous ceux qui pensent que pour réussir dans la vie, il faut se gaver le cerveau et accumuler les diplômes ou l’argent ! Ceux-là, Jésus ne leur sera pas d’un grand secours. Lui qui n’a pas été un modèle de réussite — pas plus que sa « petite entreprise », même si celle-ci « ne connaît pas la crise » !

Le monde dans lequel il crie (Jésus crie : si, si !) ne peut pas l’entendre : il est pendu à son Smartphone pour lequel il n’utilise plus que ses deux pouces ! Des « Petit Poucet » comme les appelle affectueusement un autre philosophe, Michel Serres. On parle d’écran « tactile » ou « digital », mais on ne sait plus rien faire de ses dix doigts.

La voiture, l’électroménager nous sont devenus quasiment étranger et « mes compétences techniques personnelles sont largement inférieures à celles de l’homme de Neandertal ». Hadjadj parle de régression. Et comment ne pas lui donner raison quand, du « surhomme promis » on ne parvient « à en faire un handicapé compulsif ou un bébé en colère dès que son hochet ne fonctionne plus assez vite » (la durée de vie moyenne d’un Smartphone est de 2 ans). Non sans humour, notre auteur se risque même à cette sortie : « Leur incompétence manuelle (encore les mains !) est devenue telle qu’ils ne seraient même pas fichus aujourd’hui de faire une bonne crucifixion… » !

Ceux qui aujourd’hui « refont le monde » avec leur langue en sont bien incapables avec leurs mains ! Qu’on regarde pour s’en convaincre comment, par des discours, on prétend résoudre la crise des migrants qui se noient par milliers en méditerranée ou se font traiter avec moins de dignité que votre chien ou votre poisson rouge…

Et Jésus ? Peut-il donc être sage et capable de faire des « miracles » un homme qui n’est que charpentier et « fils de charpentier » ? Or, le travail du bois accompli par Jésus nous rappelle que l’homme n’est pas qu’un « cerveau dans un bocal » S’il n’y a plus de corps, il n’y a plus d’âme. Plus de nature ? Plus de grâce ! Notre univers postmoderne, en nous éloignant du réel, tue simultanément en nous la grâce, la vie spirituelle et divine : « les objets, incapables d’être tenus dans une main » sont ainsi « incapables d’être recueillis dans une âme ». Nos mains ne sont pas d’abord des pinces. Elles sont directement reliées à l’esprit. C’est d’elles que dépend notre « manière de voir » (le mot « manière » vient aussi du mot « main »)

« Pourquoi Jésus s’est-il fait charpentier » ? « Pour manifester la liaison intime en nous du corps et de l’esprit ». Qui fait qu’à la suite du Christ, celui qui aime construit un toit au pauvre, qu’un tailleur de pierre construit une cathédrale, qu’un médecin soulage ses patients, qu’un prêtre impose les mains pour guérir ou bénir. Il faut que « La grâce passe par l’atelier » conclut Fabrice Hadjadj.

Rémy CROCHU

 

Précédent

Les commentaires sont fermés.