Le chameau, le lion et l’enfant.

Quelle image avons-nous de nous-mêmes ? C’est une question d’une étonnante actualité. Je rencontre aussi bien des jeunes que des personnes âgées qui s’interrogent sur le sens de leur existence : qui suis-je ? A-t-on vraiment besoin de moi ? Pour répondre à ces questions, certains cherchent tant bien que mal à correspondre à l’image qu’attendraient d’eux « les autres » : des parents, une famille, un « milieu » culturel ou professionnel. Tandis que d’autres (beaucoup moins nombreux !) semblent avoir trouvé leur voie et s’avancer dans la vie avec une assurance déconcertante.

Dans « ainsi parlait Zarathoustra », le philosophe Frédéric Nietzsche (+ 1900) utilisait l’image du chameau, du lion et de l’enfant pour décrire, selon ses propres termes, les trois métamorphoses de l’esprit humain au cours d’une vie.

Le chameau dit : « chargez-moi de connaissance, faites-moi marcher dans la boue, privez-moi d’amour. Je suis fort et je n’ai pas peur de supporter la charge !

Le lion, lui, c’est le fauve qui, en nous, ne veut rien subir, qui ne se laisse pas faire, qui prétend être libre et qui se bat férocement contre le « devoir », les « conventions » auxquelles les faibles, eux, obéissent.

L’enfant, enfin, c’est celui qui, comme le dit le psaume 130 : « n’a pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; qui ne poursuit ni grands desseins, ni merveilles qui le dépassent. Qui tient son âme égale et silencieuse… comme un petit enfant  contre sa mère ».

Ces trois figures, chez Nietzsche, décrivent allégoriquement 3 grandes étapes de sa vie : sa jeunesse, l’âge adulte puis la fin de sa vie.

Cependant, il me semble, elles rendent assez bien compte de 3 modèles de personnalité dans lesquels nous nous inscrivons. Souvent à contre-cœur. Certains aimeraient être (mais d’autres pas du tout !) l’enfant insouciant et joyeux que tout un contexte social cependant les empêche d’être. L’enfant semble devoir inéluctablement disparaître derrière le statut :  le père ou le grand-père (la mère, la grand-mère), le médecin, l’ingénieur, le « pro » ou le « prof » ; ou derrière l’image de soi : « être responsable », « être un modèle », « être gentil », « être à la hauteur », « être fort (« sèche tes larmes, mon fils »).

Jésus, dans l’évangile ne s’est pas uniquement identifié à l’enfant. Certes, il se décrit lui-même et le plus souvent comme le « fils de Dieu ». Il appelle ceux qui l’écoutent à ressembler aux enfants et même à chercher à être « les plus petits », les « derniers ». Mais Jésus ne renonce pas pour autant à être un « chameau » (il porte le lourd fardeau de son existence et de l’humanité entière), et un lion (il marche infatigablement à la rencontre de tous et de chacun, sans ménager sa peine de Pasteur et de Maître).

Cela veut-il dire alors qu’il faut mettre sur le même plan les trois « profils » de personnalité que décrit le philosophe et les assumer simultanément ? Oui et non. Oui, s’il s’agit d’assumer ce que nous sommes en société, tour à tour disciple et maître, faible et fort, contraint et libre. Mais, ce qui, en toutes circonstances et notamment dans celles que nous traversons aujourd’hui dans le monde, dans l’Église, nous permet de les traverser sereinement, c’est en nous l’enfant qui se rappelle qu’il a un Père : « Notre Père… ». Chers amis paroissiens, réveillons en nous l’enfant qui trop souvent sommeille…

Père Rémy CROCHU

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