« Nous avons vu le Seigneur ! » Ce témoignage, Thomas, tu l’as reçu comme un coup de poignard. Soit que tu te sois senti coupable d’avoir fui le groupe des apôtres, soit que tu aies éprouvé une profonde jalousie (« pourquoi eux et pas moi »). Mais peut-être que — et c’est le plus probable — tu t’es tout bonnement effondré de douleur à l’annonce de la mort te ton Maître. Pour toi, tout était définitivement fini des 3 années de votre aventure : c’était « trop beau pour être vrai », pensais-tu, de la promesse de Jésus d’être « la Résurrection et la Vie » (Jean 11, 25).
Depuis ce jour-là, tu es devenu l’image des « sceptiques » de la terre, ceux qui sont difficiles à convaincre. On les appellera aussi les « agnostiques » ou les cartésiens », c’est-à-dire ceux pour qui n’est crédible que ce qui est démontrable, évident. « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » Pauvre Thomas, d’hier et d’aujourd’hui !
Je me souviens de deux religieuses rencontrées il y a quelques années, de retour de 30 années, passées dans les bidonvilles de la banlieue de Mexico. Elles me témoignaient de leur surprise de voir comment en France, on est à ce point devenus sceptiques. « Au Mexique, m’expliquaient-elles, Les gens ont une sorte d’aptitude spontanée au spirituel, au sacré. Une aptitude qu’il suffit alors d’évangéliser. » Le monde occidental est très loin de cela. Il cherche des preuves. Ce n’est en vérité pas d’hier. Si Thomas s’est montré aujourd’hui sceptique, on l’a vu également chez un Hérode ou un Pilate, durant le procès de Jésus. On le verra des grecs bientôt que Saint Paul peinera à convaincre de la résurrection du Christ.
Thomas n’est pas un athée. Un athée est quelqu’un qui a cette audace de dire qu’il « croit… en rien » ! Thomas, lui, comme beaucoup d’entre nous, veut bien croire. Mais à condition d’avoir des preuves tangibles : toucher et voir. Doit-on comprendre dans la réponse de Jésus qu’il faut y renoncer : « heureux ceux qui croient sans avoir vu » ? Oui et non. Car si « voir et toucher » veut dire « avoir la maîtrise des choses et ne s’étonner de rien », Thomas, tu es le plus malheureux des hommes. Car le Royaume des cieux n’appartient ni aux sages ni aux savants ». Mais si « voir et toucher » signifie « laisser à Dieu l’initiative de se montrer, de se manifester », alors, tu n’as pas fini d’être surpris.
Saint Jean parle de « signes ». De « beaucoup de signes que Jésus a fait en présence des disciples et qui ne sont pas écrits » dans son évangile. Les chrétiens sont des hommes et des femmes sensibles à « chercher dans leur vie les pas de Dieu », les signes de son passage qui prennent souvent les allures de coïncidences, d’imprévus heureux. L’imprévu, pour Thomas, aura été de sentir l’amour de Jésus lui disant : « mets ton doigt dans la marque des clous et dans mon côté ; et de ton côté, accepte que, moi, je mette le doigt sur ton incrédulité ». Les rencontres avec le Christ sont imprévisibles : le moment, le lieu, la manière appartiennent à Dieu seul. A nous, il appartient de faire ce qu’ont su faire les apôtres qui dirent à leur ami et frère, Thomas : « Nous avons vu le Seigneur ! ». Le reste ne nous appartient pas. C’est le travail de l’Esprit-Saint !
Père Rémy CROCHU
Vous le savez sans doute maintenant, depuis l’an 2000, le pape Saint-Jean-Paul II a institué le Dimanche après Pâques comme le dimanche de la “Divine Miséricorde”. Et si le pape, François, a lui-même jugé opportun (il y a quelques années) de proposer une “Année de la Miséricorde”, ça ne pouvait être « à coup
sûr » que pour souligner combien l’Église estime que notre monde contemporain a un besoin tout-à-fait particulier d’entendre ce que contient cette réalité. “Miséricorde”, certes, ça peut sembler un mot bien vieillot, complètement usé, et pourtant, quelle espérance pour l’humanité ne s’y trouve-t-elle pas cachée ?..
Puisqu’en décomposant miséricorde on trouve: “miséri” c-à-d: misère et “corde” c-àd : coeur, ce qui revient à dire que Dieu prend toute la misère humaine sur lui, dans son coeur et même dans son corps, puisque Jésus est mort d’avoir tout pris sur lui…
En d’autres termes, cela veut dire que Dieu dans son amour trouve le moyen de tout retourner à notre avantage, même nos comportements les plus destructeurs. Ainsi, le péché d’Adam qui a déstabilisé toute la Création, Dieu le transforme en Source de Salut en nous envoyant Jésus… Pierre en vient-il à renier son Maître durant la passion, que Jésus peut alors en faire le chef de son Église, dès que celui-ci prend conscience que de lui-même, il n’est que fragilité; il pourra alors s’appuyer sur le roc de Jésus, mort et ressuscité pour conduire et affermir l’Église… Thomas doute-t-il de la résurrection de Jésus et cela nous vaut une profession de foi d’autant plus marquante et suggestive qu’il y a eu doute. C’est tout-de-même encourageant face à nos propres doutes et pauvretés. La méchanceté et l’inconscience humaine clouent Jésus sur la croix et finalement cela nous permet de vérifier que l’amour est plus fort que la mort, puisque Jésus sort victorieux du tombeau… Et dès le soir de la résurrection, en donnant l’Esprit-Saint à ses apôtres, il leur donne aussi le pouvoir de pardonner les péchés; ce qui revient à dire que rien de l’homme, aussi destructeur qu’il soit, ne peut arrêter l’amour invincible de Dieu.
Et ainsi, à travers la vie des Saints, de l’Église et même de l’ensemble de l’humanité, on pourrait allonger la liste de tout ce qui nous est devenu favorable après avoir eu souvent l’apparence de l’échec, voire de l’anéantissement… Nous pourrions en trouver plein de témoignages ne serait-ce, par ex., qu’à travers une prière apparemment non-exaucée à un moment donné de notre vie et qui se révèle finalement porteuse d’un fruit prodigieux peut-être dix, vingt ou trente ans plus tard… Ste Monique en a fait l’expérience au bout de 18 ans de prière pour son Fils Augustin, le libertin. Même si elle a fait cette expérience par des chemins qui contredisaient complètement ses souhaits… Ainsi, elle n’aurait surtout pas voulu que son fils parte à Rome (considérée à ses yeux comme la terre de perdition; le “Las Vegas “ de l’époque)… Et c’est pourtant là à Rome (contredisant toutes les craintes de sa mère) qu’Augustin s’est converti, au contact de St-Ambroise.
Et cela confirme la Parole de St-Paul: ”Tout contribue au plus grand bien de ceux qui aiment Dieu”(Rm 8/28) tant, je le disais, dans sa “Volonté de n’en perdre aucun” l’amour de Dieu met tout en oeuvre et au plus grand prix pour que même notre misère ou notre péché se retournent en notre faveur. Personnellement, je suis de ceux qui croient que de la baisse apparente de la foi (au moins dans nos pays riches) et du manque de vocations, Dieu est en train de préparer un renouvellement total dans les coeurs pour une évangélisation en profondeur jamais atteinte encore jusqu’à ce jour de toute l’histoire de l’humanité.
Pour illustrer cette incroyable ténacité et inventivité de l’Amour de Dieu à faire sortir le mieux du mal, voire du pire, j’aime raconter l’histoire de ce vase en or magnifique qu’un serviteur maladroit avait éraflé. Son propriétaire (un prince à l’orientale), vraiment outré d’une telle maladresse, après avoir puni bien sûr sévèrement ce serviteur, avait alors cherché les orfèvres les plus réputés et les plus compétents pour essayer de faire disparaître cette éraflure; Mais toujours il restait une trace… C’est alors qu’un jour un artiste ingénieux sous le regard inquiet du maître entreprend non plus de faire disparaître l’éraflure, mais de la creuser encore davantage avec un stylet jusqu’à faire apparaître d’abord une tige, puis des feuilles et enfin couronnant le tout, un joli bouton de rose, si bien qu’à la fin de ce travail méticuleux, le vase apparaît infiniment plus beau qu’il ne l’avait jamais été dans sa première conception.
Ainsi en est-il souvent dans nos vies : bien loin de la faire disparaître, en quelque sorte, Dieu creuse encore la blessure qui nous fait mal pour en faire émerger à terme un fruit incomparable dépassant tout ce que l’on aurait pu imaginer.
Non pas qu’il s’agisse, comme tel, de nous encourager à pécher pour que Dieu fasse mieux ensuite, mais vraiment pour nous rappeler que nous n’avons jamais, jamais, à désespérer de Dieu et qu’une fois revenus de nos erreurs, quelle que soit la gravité de nos péchés, de nos échecs ou de nos déceptions, tout est toujours vraiment possible et récupérable, car dit l’apôtre St-Jean (I Jn 3/20) :”Notre coeur aurait beau nous accuser, Dieu est plus grand que notre coeur”. Aussi, en ce dimanche de la Divine Miséricorde, faisons lui donc particulièrement confiance : confiance pour nous-mêmes! Confiance pour chacune
de nos situations (aussi périlleuses puissent-elles paraître !) ; Confiance pour chacun de nos frères et confiance pour notre humanité tout entière, aussi décevantes qu’en soient souvent les apparences…
Et alors, tôt ou tard, un jour viendra où, dans une immense action de grâce, nous ne pourrons plus que nous émerveiller de la créativité et de la puissance de l’amour de notre Dieu, puisque même de la mort de Jésus, son Fils, il a fait surgir plus que jamais la vie resplendissante du Ressuscité au matin de Pâques. AMEN !
Père Jean Michel POUPARD