« Celui qui aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » Les paroles de Jésus — pour n’importe qui de sensé et de bon sens — sont révoltantes et inaudibles. Comment Jésus peut-il nous demander de lui préférer ce qui nous constitue le socle même de notre vie : l’amour de nos proches ?

On aurait envie de penser qu’il s’agit d’une erreur de traduction ; ou encore un excès de zèle de la part de l’évangéliste Matthieu quand il transcrit ce qu’il a entendu dire par le Maître… Bref, ce « Dieu premier servi » nous est très désagréable. Mais, est-ce bien ce que Jésus nous dit vraiment ?

Car il y a la suite : « celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi. Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera ». Tout à coup, il n’y a plus que Dieu seul. Dieu qui me demande de lui donner tout sans partage et y compris moi-même. Avouons que c’est impossible et même révoltant.

Je songe ici à Saint François d’Assise qui, adoptant cette radicalité absolue de l’Évangile, est surpris dans sa prière nocturne par son ami — et futur compagnon — Masseo à répéter dans l’obscurité de la nuit : « Mon Dieu, mon tout ». Je songe à la radicalité de Sainte Thérèse d’Avila dont l’enseignement à ses sœurs est non moins exclusif : « Dieu seul, et cela suffit ! »

En fait, tout l’Évangile tient dans la radicalité de l’amour. « La mesure de l’amour c’est d’aimer sans mesure », dit Saint Augustin. Et il n’est pas possible pour Dieu que l’on fasse dans la demi-mesure en matière d’amour. Aimer c’est tout donner et se donner soi-même. Aimer c’est donner toute la place à l’autre sans rien garder pour soi-même. L’amour en Christ, l’amour parfait, est sans égoïsme aucun, il est don total et radical. En Jésus, cela vaut pour sa relation à son Père des Cieux comme pour tous ceux qu’il rencontre. Et quand il forme ses disciples à la mission (c’est le contexte de cette page d’Évangile), il ne leur enseigne pas autre chose : aimer en donnant tout, et à tous. Aimer radicalement ! A ce stade, on fait dans l’amour impossible. Humainement parlant, s’entend.

Mais, ce premier mouvement de don total est suivi d’un second mouvement qui est un mouvement d’accueil, d’hospitalité. Je donne tout pour tout recevoir : « Qui a perdu sa vie à cause de moi, dit Jésus, la trouvera. Qui vous accueille m’accueille et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé. » L’amour est toujours à vivre dans ce double mouvement : je donne tout, pour tout accueillir. C’est ce qui est au cœur du sacrement du mariage : chacun est appelé à se donner entièrement à l’autre dans la promesse de tout recevoir de lui, d’elle. Et Saint François, dans la radicalité de son amour pour Dieu (« Mon Dieu mon tout »), n’aura de cesse de donner l’hospitalité jusqu’aux lépreux et même aux plus grands pécheurs, convaincu de donner l’hospitalité à Dieu lui-même.

L’amour dont nous parle Jésus dans cet évangile n’est pas un amour possessif, égoïste, un amour qui enferme ou éloigne des autres. C’est un amour plein et entier qui permet de recevoir non seulement un père, une mère, un fil ou une fille mais bien une multitude de pères, de mères, de fils et de filles. C’est un amour hospitalier ! Hospitalier à l’infini !

Nous entrons dans une période estivale qui va certainement nous donner l’occasion de rencontres nouvelles. Quelle place donnerons-nous à Dieu dans cette période ? Quelle place donnerons-nous aux autres dans notre cœur, comme le fit hier la Sunamite de la première lecture, recevant chez elle le prophète Élisée ? Quelle place donnerons-nous à Dieu en accueillant les autres comme une présence de Dieu qui s’invite chez nous ?

Père Rémy Crochu, curé.

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