« Poils de chameaux, sauterelles et miel sauvage… »
La figure de Jean-Baptiste nous est proposée aujourd’hui. Et proposée dans la perspective de Noël où nous sera donné de méditer sur la présence de Dieu au milieu des hommes, la présence du Christ. Nous aurons tout le temps de méditer le mystère central du Christ incarné, mais regardons aujourd’hui le Baptiste. Que connaissons-nous de lui, et que peut-il nous enseigner ?
Je ne ferai pas un inventaire exhaustif de ce que nous disent les évangiles du cousin de Jésus. Le passage de Saint Marc nous dit aujourd’hui de lui qu’il vit au désert. Un désert qui n’a pas grand-chose à voir avec l’idée que nous nous faisons ordinairement du désert puisque ce désert-là est peuplé d’animaux qui pourvoient à sa nourriture et à son habillement. Des sauterelles, des abeilles et des chameaux. Ainsi, le désert renvoie-t-il davantage à celui que le peuple hébreu traversa naguère, pendant quarante années. Le désert dans lequel la voix de Dieu crie à travers ses prophètes : « préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. »
En méditant à frais nouveaux cet évangile, je me suis arrêté sur l’évocation amusante, surprenante même, des poils de chameaux, des sauterelles et du miel sauvage. Des indications qu’il ne faut pas se contenter de prendre au premier degré. La lecture symbolique est nettement plus intéressante et féconde, pour nous qui sommes invités à plonger dans ce désert.
Un vêtement en poil de chameau. Pas très fun, cette nouvelle ligne de vêtements ! Même assortie d’une ceinture de cuir — n’en déplaise aux « Végan », défenseurs de l’espèce animale ! L’allusion est ici faite au prophète Élie, lui-même ainsi vêtu, nous dit-on (2 Rois 1, 8). Un vêtement « au poil » ! Plus sérieusement, un vêtement de peau pour nous rappeler notre condition animale première. Cette nature humaine faite pour être transformée par la grâce de celui qui vient, mais une nature humaine dont nous ne pouvons pas faire l’impasse. Il y a beaucoup d’idéologies, dans les temps qui courent, qui voudraient nous laisser penser qu’on doit s’en émanciper et qu’on peut changer de peau, de sexe, d’âge, de personnalité. Certains rêvent d’une humanité incolore, inodore et sans saveur, transformable, voire corvéable à merci. Et que j’encourage les mères porteuses, l’enfant sans père, les parents sans enfants, la fécondité ou la stérilité à tout prix, et parfois les deux à la fois… Le chameau d’aujourd’hui nous renvoie à une vie qui se coltine la réalité quotidienne où il faut chercher sa nourriture et son eau, se satisfaire du peu sans jamais s’en contenter, marcher d’oasis en oasis.
Les sauterelles ont un peu la même signification. Avec cette nuance particulière qu’elles soulignent la dureté de la vie terrestre, elles qui sont l’un des fléaux (l’invasion de criquets) qui s’abattirent sur l’Égypte antique (les fameuses « 7 plaies d’Égypte »). Et si le baptiste se nourrit des sauterelles, s’il n’en fait « qu’une bouchée », c’est pour nous dire et redire que, du pire, nous pouvons tirer le meilleur, que d’un mal, il est toujours possible d’extraire un bien. C’est l’expérience que nous pouvons faire de ce fléau moderne de la pandémie qui s’abat depuis près d’un an sur la terre entière. Bienheureux virus venu nous apprendre à vivre autrement, plus humblement, plus humainement, plus spirituellement… Nous en voyons déjà les signes dans nos familles, dans un peu plus de souci fraternel en paroisse, dans des élans de conversion personnelle ici ou là.
Le miel sauvage, enfin. C’est l’ingrédient qui fera passer le goût amer (mais je n’ai pas essayé d’y goûter !) des sauterelles quand on l’étale dessus. Le miel, c’est l’espérance de tout un peuple (une terre « ruisselante de lait et de miel ») et qui représente ce goût d’éternité dont nous pouvons déjà faire l’expérience quand nous apprenons à voir Dieu à l’œuvre dans celui-ci qui demande pardon, dans cet autre qui se détourne de la médisance, dans cet autre encore qui sait s’émerveiller ou rendre grâce.
Frères et sœurs, continuons humblement de tracer notre route à travers le désert de ce temps. À pas de chameau (et alors ?), en tirant le meilleur des épreuves (nos sauterelles modernes), et enfin en goûtant le miel de la grâce de Dieu, qui fait si bien passer le reste et nous dispose à voir « la gloire du Seigneur » qui vient pour « rassembler ses agneaux sur son cœur » ! Amen.
Père Rémy CROCHU