La Transfiguration (Marc 9) — 28 février 2021
(Image “La Transfiguration” Giovanni Bellini, (1430-1516) musée Correr, Venise, Italie)
« Quel est ton secret ? » Ils étaient trois apôtres à avoir été choisis par Jésus pour l’accompagner dans sa retraite de prière. Les autres étaient sans doute restés dans la plaine à les attendre. Et voici que, dans un moment de prière et pour quelques instants seulement, la divinité de Jésus leur était apparue sans la barrière de son humanité. Jésus, resplendissant, éclatant de lumière, et une voix révélant son identité : « celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » A peine le temps de s’interroger et déjà la vision cesse. Et Jésus leur donne alors cet ordre de « ne rien raconter à personne » sur cette vision avant sa résurrection : ce sera leur secret.
Nous avons tous au plus profond un secret bien gardé, et parfois même un secret que nos plus intimes ne connaissent pas. Le secret n’est pas interdit ; il est même recommandé ! Recommandé par Jésus lui-même qui, au commencement de ce Carême, nous invitait à nous tenir « dans le secret » de notre cœur (Cf. Mt 6). Et il est dans la Tradition de l’Église de défendre ce qu’elle appelle « le secret de la confession », c’est-à-dire la protection des confidences faites à un prêtre. Notons que c’est dans le secret que se font les plus belles choses comme une déclaration d’amour ou la conception d’un enfant. Aussi bien que les pires choses, du reste, comme la trahison d’une amitié ou la conception de projets crapuleux.
Si j’insiste aujourd’hui sur cette question du secret, c’est peut-être parce que j’y ai été plus sensible ces derniers temps en paroisse. Le prêtre entend parfois l’aveu de personnes qui font confiance à sa capacité de garder le secret : la révélation d’une erreur passée, le regret d’une complicité dans un acte condamnable. Et puis, le prêtre reçoit aussi la confidence de personnes qui vivent aujourd’hui encore des expériences dignes de la transfiguration : un rêve qui les bouleverse et change leur vie, un accident dans lequel elles ont la vision soudaine de leur condition mortelle, un temps de prière qui les remplit soudainement d’une joie venue d’ailleurs.
Ce que je veux souligner ici, c’est le travail de l’Esprit-Saint dans de nombreuses personnes que je rencontre et qui n’est pas de l’ordre des seuls sentiments ou de la raison raisonnante. Je plaide volontiers pour une certaine vie mystique du chrétien qui certes n’interdit pas une action chrétienne en cohérence ni une vraie réflexion sur la foi, mais une vie qui consent à se laisser toucher au plus intime par Celui qui est « là dans le secret » et qui « voit ce que tu fais dans le secret ».
On parle beaucoup de confinement, depuis un an bientôt. Un confinement qui a eu ses effets négatifs sur l’économie ou la vie sociale. Mais un confinement qui a suscité chez certains un renouveau de leur vie intérieure, de leur vie de prière. Cela est heureux. Cela se voit. Et on a envie de les interroger : « Quel est ton secret ? » Quel est le secret de ta patience, de ta joie, de ton espérance ? Si Jésus met ses apôtres dans le secret de son identité, c’est avant tout pour les préparer. C’était une grâce qu’il leur faisait pour qu’ils puissent faire face aux épreuves à venir. Mais c’était aussi une grâce pour ceux qui les regarderaient vivre. Comment ne pas souhaiter que soient de plus en plus nombreux aujourd’hui encore ceux à qui l’on demandera en les voyant : « Quel est ton secret ? »
Père Rémy Crochu, curé.