La parabole des talents (Mt 25, 14-30)

Dieu, directeur de banque ? Pas vraiment ! C’est lui qui nous a avancé notre capital — un « capital de départ », une « mise de fond » qui n’a pas été conditionnée de quelque manière que ce soit. Car, de lui, nous avons reçu et recevons sans cesse et beaucoup : la vie, un corps et une âme, une famille, des enfants, une histoire, des amitiés, des frères en humanité, la santé, de multiples dons, à commencer par le don de la création, de la nuit et du jour, de la nourriture et de l’eau… Je fais remarquer ici que le « talent » dont parle l’Évangile n’est pas un quelconque don plus ou moins exceptionnel, une aptitude particulière. Le « talent » est une monnaie d’or, une monnaie riche dont une des propriétés est qu’elle ne rouille pas, ne s’use pas. Celui qui l’avait « enfouie dans la terre » l’a rendue intacte, sans la moindre trace de rouille ! Certes, certains semblent plus gâtés que d’autre, comme le suggère la parabole de Jésus. Cependant, la question de Jésus ne porte pas sur ce que nous avons reçu mais sur ce que nous en faisons. En effet, il y aura toujours des personnes pour nous dire : « tu as du talent pour ceci, pour cela ». Mais la question posée par Jésus aujourd’hui porte sur ce que nous en avons fait : « Qu’as-tu placé à la banque pour que je le retrouve avec les intérêts ? »

Un exemple. Tu as eu la grâce d’accueillir des enfants, alors que d’autres auraient bien voulu en avoir mais n’en ont pas eu. Mais, si tes enfants sont des dons de Dieu, t’es-tu contenté de les voir grandir ou as-tu vraiment pris soin de leur croissance dans l’amour ?

Personnellement, je me sens constamment renvoyé à cette question de ma dette envers Dieu, en particulier concernant ma mission de prêtre au service de la communauté qui m’a été confiée. Mais je constate aussi, avec des larmes de reconnaissance, que le Seigneur continue de compter sur moi — moi qui compte si peu sur lui ! Il me gâte bien au-delà de mes mérites ! Il moissonne « là même où il n’a pas semé » !

Non ! Dieu n’est pas un banquier à qui nous aurions à rendre des comptes pour acheter ses faveurs : Dieu nous aime ; c’est l’Ami par excellence. Il ne met pas de conditions à son amitié. Il ne fait pas du troc avec nous. Il attend simplement de nous de la reconnaissance, de l’action de grâce. Voilà la dette qui est la nôtre. « Tu m’as fait grâce, Seigneur ; à moi de te rendre grâce ! » Au dernier jour, nous n’aurons qu’une seule dette envers Dieu : la dette de l’amour reconnaissant.

Dans un communiqué du diocèse daté de ces derniers jours[1], nous sommes invités à nous interroger sur le sens de notre rapport à l’eucharistie. En effet, beaucoup de chrétiens, de prêtres et d’évêques aussi, s’interrogent sur l’impossibilité, pour des motifs sanitaires, de s’assembler le dimanche et donc de se réunir pour le repas eucharistique. Certains se résignent, d’autres s’indignent. Il est vrai que si nous regardons le sens littéral du mot « eucharistie », nous avons perdu, et pour plusieurs semaines, un lieu privilégié pour « rendre grâce », dire « merci » à Dieu. Le communiqué, sans polémique, nous rappelle cependant que, par-delà le « désir légitime » de l’eucharistie, nous devons accueillir la double promesse de Jésus : « Je suis avec jours, tous les jours et jusqu’à la fin des temps », ainsi que « Là ou deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ». Et le communiqué nous renvoie en particulier à notre « vocation à la louange », à « rendre grâce ».

On peut débattre et même combattre. Mais, sans perdre de vue que la messe n’est pas un dû mais un don. J’ai rencontré des chrétiens pour qui, faute de prêtre, la messe n’est possible que quelques dimanches dans l’année ! Cela a-t-il éteint leur foi ? Non : ils la vivent autrement et dans un ardent désir de l’eucharistie. Ah, si nous pouvions tirer de ce second confinement la même leçon de vie et rendre grâce pour la grâce de chacune de nos eucharisties, les eucharisties passées et celles à venir !

Père Rémy Crochu, curé.


[1] accessible sur le site de la paroisse : « la messe en temps de confinement »

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