Partager le trésor de l’amour
Vous avez été nombreux déjà à accueillir votre nouveau curé, ce dernier dimanche. Dans ma mémoire, je n’ai pas encore intégré vos noms, ni imprimé vos visages. Surtout, je suis conscient du temps qu’il faudra pour que je vous connaisse dans votre histoire, vos profondeurs. Je vous remercie de m’accorder du temps pour cela. Je me réjouis cependant des liens que vous avez déjà tissés avec mes nouveaux collaborateurs prêtres et laïcs. C’est aussi par eux que le Seigneur vient à votre rencontre pour vous dire : « tu es précieux pour moi et je t’aime » (Isaïe 43, 4).
Des jeunes collégiens m’ont demandé ces derniers jours: « à quoi ça sert de croire en Dieu ? » On peut se poser la même question d’une paroisse : à quoi sert-elle ? C’est un peu comme si des parents se demandaient si leurs enfants (ou inversement !) leur étaient « utiles ». La foi n’est pas utile, une paroisse n’est pas utile : c’est vital ! une paroisse est ce qui manquerait le plus au monde si elle n’existait pas. Elle est dépositaire d’un trésor formidable et même vital pour ce monde endormi et souvent désespéré. Et ce cadeau, c’est le Christ : la douceur du Christ là où domine la violence ou la souffrance, le pardon du Christ là où sont le remord et le découragement, la joie du Christ là où règne la tristesse.
Etant plus jeune, je pensais que pour bouger un peu une paroisse, il fallait se remuer beaucoup. L’expérience d’échecs divers, la traversée d’épreuves de santé spécialement ces dernières années, tout cela m’a appris à davantage croire que la paroisse n’est pas d’abord ce que nous en faisons mais ce que nous acceptons que le Seigneur en fasse. Il ne nous demande pas d’en faire une Association loi 1901 de plus dans laquelle nous nous engagerions pour « rendre service ». Il nous demande avant tout de l’aimer comme on aime sa famille, avec ses hauts et ses bas, mais avec le désir de la voir grandir « en taille et en grâce » (Luc 2, 52).
En vous rejoignant, je n’ai pas de grandes ambitions. Comme chante le psalmiste : « Je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent » (Ps 130). Je ne viens pas révolutionner cette paroisse, ni même lui proposer de nouvelles recettes. Bien entendu, nous devons ensemble rester inventifs et audacieux, comme cela a été fait par le passé. Mais le danger est toujours d’agir comme si Dieu était absent. C’est vrai d’ailleurs dans nos familles ou dans nos engagements, ici ou là. Et nous nous couchons plus ou moins contents de nous, mais sans nous être posé la question : « Qu’est-ce que le Seigneur attend de moi, pour ma famille, pour mon entourage, pour ma paroisse ? C’est bien cette question que je me pose personnellement en vous rejoignant comme curé.
La mort du père Pierre-Yves a profondément affligé les paroissiens qui l’ont connu. Ce qui me frappe n’est pas tant ce qu’il a pu faire (et je sais qu’il a beaucoup fait !) que le témoignage de foi qu’il a laissé dans le cœur des uns et des autres. Je pense par exemple à cet enfant qui m’a témoigné aujourd’hui même de sa fierté d’avoir fait sa première communion avec lui. Ce n’est pas sur nos actes eux-mêmes que nous serons jugés dans l’éternité, mais sur l’amour avec lesquels nous les aurons accomplis, même petits, même insignifiants en apparence.
J’ai lu, il y a quelques années, le récit de la vie exemplaire d’un prêtre de votre région sous la période tragique de la révolution. Il a laissé des traces dans la mémoire locale. Ce qui m’avait frappé n’est pas tant ce qu’il avait pu faire : n’a-t-il pas continué de remplir sa mission de prêtre, même si cela devait être dans l’angoisse permanente d’être surpris et arrêté par « les bleus » ? Mais c’est l’amour qu’il a eu pour Dieu et pour son peuple dont on fait mémoire encore aujourd’hui. Puisse-t-il en être de nous aujourd’hui encore, devant Dieu et devant les hommes.
P. Rémy CROCHU