Un peuple de rois
Nous venons de fêter l’Epiphanie et c’est avec plus ou moins d’amusement que nous cédons à la tradition de la galette des rois qui nous fait désigner un « roi » ou une « reine ». Pour rire ?
« Les rois ». Les termes sont un peu vieillots et nous renvoient à des temps où des dynasties de souverains gouvernaient les nations. L’Épiphanie nous a donné de contempler la figure de « rois » venus d’Orient. Des « rois » ? Plutôt des « mages », des astrologues. Des hommes cultivés, avec cette haute noblesse de ne pas se replier jalousement sur ce qu’ils ont acquis — une richesse ou un savoir — mais de chercher humblement à découvrir ce qu’ils ne connaissent pas encore. Car, de la richesse, il en faut pour voyager ainsi à la seule fin de suivre une étoile ! Il en faut aussi pour sortir de ses bagages « de l’or, de l’encens et de la myrrhe ».
C’est l’écrivain et théologien Tertullien qui, au début du IIIème siècle, leur octroiera la dignité de « rois » à qui d’autres traditions attribueront les noms de Gaspard, Balthazar et Melchior. Leurs reliques sont du reste conservées et vénérées à la cathédrale de Cologne, et, à l’invitation du pape Benoît XVI, des milliers de jeunes sont venus prier sur elles lors des JMJ de 2005. C’est sur cette tradition que s’inscrit la tradition des santons de Provence.
Des rois, donc ? Le nom du 3ème, Melchior, ne laisse aucune ambiguïté puisqu’il provient de l’hébreu « Melech » (en arabe « Malik ») qui signifie « roi » et qu’on retrouve dans d’autres noms connus : Melchisédech, Malachie, Abimelech. La particularité de Melchior est d’être représenté comme le « roi à genoux » qui dépose devant l’enfant Jésus son cadeau précieux : de l’or.
Apparaît alors, dès la crèche, la vocation royale de l’enfant Jésus, le « Roi des juifs » dont les mages ont lu le signe de la venue dans le mouvement des astres : « Nous sommes venus nous prosterner devant lui ». Il est clair à ce stade de notre réflexion que les mages, s’ils sont rois, c’est pour souligner la Royauté de Jésus, bien supérieure à la leur.
Mais quel souverain est-il ? Un enfant pauvre, né dans une crèche pauvre, dans un pays pauvre… Quel contraste avec toute autre forme de royauté ! Les mages ne s’y sont pas trompés qui sont, nous dit encore l’évangile de Saint Matthieu, « repartis par un autre chemin », sans se soumettre à cet autre roi, Hérode, dit… « le Grand » !
Le Christianisme dessinera une forme de Royauté à nulle autre pareille qui s’origine dans celle du Christ, Roi d’un Royaume « qui n’est pas de ce monde » : le Royaume de l’amour qui se donne. Désormais, tout baptisé dans le Christ est appelé roi, c’est-à-dire qu’il est revêtu, dans le Christ et par l’Esprit, dès aujourd’hui et pour toujours, de la vie divine qu’il nourrit ici-bas par la Parole et par les Sacrements. Non pas seulement « sujet » du Royaume du Christ, mais véritablement « roi à genoux » qui exerce son droit royal en se laissant gouverner intérieurement par l’amour et en se mettant au service de ses frères. C’est sans doute le sens à donner aux chrétiens « Melkites » d’orient.
Nous entrons dans une nouvelle année, après avoir refermé la porte sur une année 2020 qui a ruiné beaucoup de nos projets, de nos ambitions. Mon vœu pour nos paroisses en 2021 sera qu’elles soient un peu plus « Melkites », un peu plus signes de cette Royauté du Christ qui n’a rien de triomphant, d’écrasant, mais qui, par sa joie simple et pure, attire à elle aujourd’hui encore aussi bien les petits que les rois !
Père Rémy CROCHU, curé