« Peut-il nous donner sa chair à manger ? »
La question des auditeurs de Jésus nous étonne peut-être. Le vocabulaire est surprenant, surtout quand on songe que le mot utilisé — la « chair » — fait référence à la « viande », la « carne ». Ce mot qu’on retrouve en français dans « incarnation ». Je vais y revenir, mais, pour rester sur la question des juifs, la réponse de Jésus ne nous surprend plus trop, nous qui avons compris — ou cru comprendre — qu’il s’agissait de l’annonce de sa présence dans l’hostie à laquelle chaque dimanche nous communions : « Ceci est mon corps livré pour vous ».
Nous croyons avoir compris, car — disons-le tout de suite — nous n’aurons jamais tout à fait pénétré la profondeur du mystère eucharistique célébré chaque dimanche où le prêtre, redisant les paroles du Christ, consacre le pain et le vin en son Corps et son Sang. C’est le mystère que nous célébrons en cette fête qui lui est consacrée.
Il s’est passé quelque chose, ces dernières semaines, qui a bouleversé le monde chrétien et forcément interrogé un certain nombre : nous avons été coupés pendant plusieurs semaines de l’eucharistie. C’était inédit. Notamment pour les catholiques, du moins les catholiques pratiquants !
J’ai reçu de nombreux témoignages sur la manière dont chacun s’y est pris pour vivre son dimanche. Mais non sans être parfois très perturbés dans leurs « habitudes ». Certains, et pas seulement les anciens, ont suivi la messe à la télé. D’autre sur divers sites internet. D’autres se sont résolus à un temps de prière autour des textes du jour, un chapelet, un temps de prière et même de chant, en famille. Bref, nous avons tous fait avec les moyens du bord, attendant que passe l’orage… On en a même vu qui, dans leur hâte de voir les choses reprendre leur cour, réclamer des messes en petits comités, à huis clos…
Il me semble que le Seigneur n’a pas été indifférent à ce que nous venons de vivre et que, par-delà le « goût étrange » que nous a laissé le confinement, il a mystérieusement voulu nous enseigner quelque chose d’important sur la grâce eucharistique. Voici quelques conclusions personnelles.
- Il n’y a pas de confinement pour l’eucharistie. Chaque prêtre que nous sommes a célébré la messe quotidienne avec cette certitude, même dans la solitude de notre petit espace ou de notre église, d’avoir entre les mains le monde entier à porter devant le Seigneur. Vous étiez là. Chacun et chacune. Avec votre vie, votre travail, vos joies et vos peines. Tous et toutes !
- Le confinement a mis à l’épreuve notre désir véritable de la présence eucharistique du Seigneur ressuscité se faisant Pain pour notre vie, nourriture pour notre âme, « don sans réserve de l’amour du Seigneur ».
- Le confinement a mis tout autant à l’épreuve notre désir de la rencontre fraternelle. Saint Paul, dans la seconde lecture, nous l’a redit avec force : « Le pain que nous rompons ‘en chaque eucharistie) est communion au Corps du Christ ». Et de quel « Corps » parlait-il ? de ce Corps que forme l’Église, la communauté des frères réunis en un seul Pain, réunis dans le Christ.
Dans cette période de jeûne eucharistique, de quoi avons-nous le plus manqué : de la communion ou des frères ? Du rendez-vous hebdomadaire de la messe ou du rendez-vous hebdomadaire avec la communauté ? La question est sans doute mal posée. On ne doit pas en effet opposer les termes. Mais je veux interroger chacun sur son réel désir de la double rencontre ET avec son Seigneur et Sauveur, ET avec ses frères, y compris ceux avec qui la relation pourrait être plus difficile.
- Un dernier enseignement de cette période si particulière sera alors peut-être de nous avoir rappelé qu’il est demandé à chacun de nous d’être le « tabernacle de Jésus vivant » pour ses frères. Nous avons à découvrir cette responsabilité extraordinaire du chrétien d’être pour ceux qui le rencontrent le signe de la Présence Réelle du Seigneur. Une incarnation de surcroit. « Comment le Seigneur peut-il donner sa chair à manger ? » Il le peut à travers toi, ton amour quotidien, ta bienveillance, son sens de la réconciliation. « Nous sommes le Corps du Christ », livré pour que le monde ait la vie en abondance.
Père Rémy CROCHU