« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas » (Jean 1, 6-8.19-28)
« Qui es-tu ? » Je propose de temps en temps cet exercice qui consiste à demander à quelqu’un de répondre le plus spontanément à cette question. La question parait banale. Mais supposez que je vous la pose autant de fois qu’il est possible durant une dizaine de minutes et qu’à chaque fois vous deviez écrire quelque chose. Une fois, puis deux, puis trois… Pour ma part, je peux dire que « je suis Rémy », « le fils de monsieur et madame Crochu » ; que « je suis né en 1960 » ; que « je suis prêtre depuis 30 ans » ; que « je suis plutôt distrait et sensible » ; etc. Bon, assez parlé de moi ! Mais, vient inévitablement le moment où, à court d’idées, nous prenons conscience que nous ne nous connaissons pas vraiment. Et que dire alors de ceux qui nous entourent et que nous avons la prétention de connaître : « mais si, tu sais bien : c’est Caroline, la fille d’Eugène et Juliette, celle qui était si drôle quand elle était petite ! » Comme si on pouvait se contenter d’approximations ! Qui es-tu ? Et l’exercice consiste à montrer que nous abusons du verbe « être » pour dire ce que les personnes ont dit ou fait, pour évoquer un trait de personnalité parfois très secondaire.
Jean le Baptiste, cousin de Jésus, à la question qui lui est posée — « que dis-tu sur toi-même ? » — aurait pu prétendre se connaître lui-même. Mais, il répond seulement par ce qu’il n’est pas : « je ne suis ni le Christ, ni Élie, ni un nouveau prophète. » Il aurait pu prétendre connaître Jésus : « c’est mon cousin, nos mères sont cousines et Marie était là pour aider ma mère durant sa grossesse ! » Au contraire, Jean dira de Jésus : « je ne le connaissais pas ». Car, connaître Jésus, c’est le connaître avec son identité la plus profonde, son identité divine. Et le Baptiste, s’adressant à son auditoire, leur annonce que « se tient au milieu de vous celui que vous ne connaissez pas. »
J’ai souvent entendu des gens parler du Christ, dire des choses sur lui, mais en manquant d’humilité. Car, si nous savions véritablement qui est Jésus, nous serions totalement chavirés : « Je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales », dit humblement Jean.
Pour connaître quelqu’un, il faut dépasser la surface, les apparences : « Il est comme-ci, elle est comme ça » ; et essayer de s’approcher au plus près du centre. Quand je fais mon petit exercice, je demande aux personnes si parmi les réponses qu’elles ont donné à ma question, elles ont trouvé celles qu’on ne peut remplacer par le verbe ‘avoir’. Pour ma part, je n’en ai trouvé que 2. Car, je peux dire que « je suis Rémy » (avec le verbe ‘être’) aussi bien que « j’ai comme prénom celui de Rémy » (avec le verbe ‘avoir’) ; je peux dire « je suis né en 1960 » (verbe ‘être’) aussi bien que « j’ai 60 ans » (verbe ‘avoir’). Mais, là où les choses sont intéressantes, c’est que je ne peux pas utiliser le verbe « avoir » quand je dis « je suis un homme » ou « je suis ‘moi’ ». Je ne suis pas un objet quelconque mais un sujet unique.
Mais, il y a encore plus étonnant ! Jean baptisait dans l’eau. Pourtant, il annonçait un autre baptême : Jésus, lui, « vous baptisera dans l’Esprit-Saint et dans le feu ». Et c’est ce baptême nouveau qui, littéralement, nous ‘plonge’ au cœur du mystère de Dieu et donc de notre propre mystère. Jésus est Dieu, Fils de Dieu. Et, si je laisse croître en moi l’Esprit-Saint — le feu brûlant de son amour —, je découvre que je suis, moi aussi, bien plus qu’un amas de cellules destinées à mourir, bien plus que quelques talents et quelques pauvretés, bien plus que ce que je fais ou ne fais pas. Je suis ce « fils bien aimé en qui Dieu trouve toute sa joie. » Je suis… Mais, qui suis-je vraiment, Seigneur ? Et qui es-tu Jésus qui m’accorde du prix, jusqu’à perdre la vie pour me donner la tienne ?
Père Rémy Crochu, curé.