Image extraite du missel pour les enfants
« Voici que nous avons tout quitté », dit à Jésus l’apôtre Pierre. Il semble bien qu’il cherche à répondre à l’appel qu’adresse Jésus à l’homme qui, il y a quelques instants, s’était prosterné à ses pieds : « va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » L’appel du Christ est d’une telle radicalité que nous nous sommes presque habitués à l’entendre et à répondre : ce n’est pas pour moi.
Mais regardons plus en détail cet homme qui est venu interroger Jésus. Son cœur semble partagé entre deux désirs : La vie éternelle d’n côté et la vie présente de l’autre. Nous sommes nous aussi tiraillées, et je me mets volontiers parmi ceux qui vivent cette tension.
L’homme dont on nous parle l’évangile nous ressemble. Il a une certaine conscience de ses acquis. « Depuis (sa) jeunesse », dit-il. Il a coché toutes les cases du questionnaire du parfait petit juif pratiquant. Il ne lui manque plus qu’à cocher la case « vie éternelle » et le tour sera joué !
Mais Jésus va le faire vaciller : « Ce n’est pas la vie éternelle qui te manque. Ce qui te manque c’est de croire que tu as tout ! « Va, vends tout ce que tu possèdes ! » Ce que Dieu attend de nous, ce ne sont pas nos richesses mais avant tout nos pauvretés. J’étais au Congrès Mission de Rennes, le WE dernier, et, lors d’une table ronde, j’ai rencontré un jeune qui rapportait son expérience auprès de personnes lourdement handicapées. Il expliquait qu’avant, sa vie consistait à chercher à « gagner de l’argent et à se sentir utile ». Et, peu à peu, au contact avec les personnes en situation de fragilité, il a compris que la vocation des chrétiens s’appuyait sur « des pauvres qui évangélisent des pauvres ». Et il ajoutait : « Les “sachants” sont les vrais handicapés dans la rencontre avec le Christ ».
De ce point de vue, Jésus est le Pauvre par excellence. Il ne se présente jamais comme celui qui sait tout, qui fait tout « comme il faut ». Il donne en se donnant, il aime et il se laisse aimer. Ce qui fait de nous des témoins crédibles et percutants n’est pas l’étalage de ce que nous savons. C’est — tout à l’inverse — le récit ému de notre rencontre avec le regard d’amour du Christ qui peut toucher les cœurs. L’homme de l’Évangile s’est-il laissé toucher par le regard d’amour de Jésus ? Nous ne le saurons pas. Mais ce que nous savons, c’est que ce regard d’amour a rencontré des résistances : « il avait de grands biens ».
Je n’ai pas oublié les mots de mon évêque au jour de mon ordination qui disait dans son homélie : « Dans 15 ou 20 ans, quoi qu’il en soit de l’état de l’Église et du monde, il vous restera une question, la même que celle à laquelle tous les prêtres de tous les temps ont eu à répondre : où puiser l’énergie de l’amour pour dispenser la vie du Christ ? »
Les dernières révélations sur les fragilités de l’Église de France, les actes inqualifiables de certains hommes de Dieu, la complicité muette de l’institution : tout cela nous a laissé un goût amer dans la bouche. Les plaies seront longues à panser, et le seront-elles un jour ?
On en arrive à la question : Comment avons-nous fait pour en arriver là ? La réponse est dans l’évangile : « Comme il est difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. »
« Voici que nous avons tout quitté », disait Saint Pierre. Il en donnera la preuve par sa vie et par son martyre. C’est sans doute dans cette attitude de pauvreté radicale que se trouve le chemin du véritable salut. Plaise à Dieu que nous l’empruntions tous, à la suite du Christ et avec le secours de l’Esprit-Saint.
Jésus, tourne vers nous, tourne vers moi ton regard d’amour. « Rassasie-moi de ton amour » (Ps 89, du jour). Fais-moi sentir combien je suis aimé de toi pour que plus rien ne m’attire loin de toi, pour que plus rien d’autre n’ait vraiment de prix à mes yeux que toi. Amen.
Père Rémy CROCHU