« Et toi, comment vas-tu ? »
La question semble anodine, mais elle ne l’est pas. Nous avons tous ressenti ce besoin de l’entendre, à un moment ou un autre, et en particulier dans les heures difficiles. Nous l’attendons de ceux qui nous aiment ou dont on voudrait se sentir aimé : un conjoint, un père ou une mère, un ami ou confident, un pasteur ou un frère dans la foi. La question est tellement vitale que — quelqu’un me rapportait tout récemment encore — lorsqu’elle n’est pas (ou mal) posée, cela peut avoir des conséquences affectives désastreuses. Combien de « bonjour : ça va ? » qui n’attendent même pas la réponse de la personne rencontrée ! Il y a certainement des raisons qui justifient cela : les habitudes ? De la timidité ? La gêne face à celui qui souffre ? Tout cela est possible. Il y a aussi des personnes à qui on ne pose pas la question parce que nous imaginons naïvement qu’elles vont toujours bien !
Dans une famille, il est important de poser la question :« comment vas-tu ? » Une mère prend soin de rester attentive à chacun de ses enfants, même quand ils sont devenus grands et volent de leurs propres ailes. Elle prend des nouvelles, elle accueille les états d’âme, elle compatit ou se réjouit, mais elle ne reste pas insensible, indifférente. Rien de facile, car parfois les tensions entre les enfants, même devenus adultes, qui se déchirent parfois durement, jusqu’au refus du pardon, au rejet. Pour une mère, c’est un poignard dans son cœur, et elle ne peut s’y résoudre. « Jérusalem, Jérusalem, dit Jésus, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu » (Matthieu 23, 37).
La vie paroissiale ressemble à une vie de famille, de famille nombreuse. Et, je ressens profondément cette douleur de mère quand on s’entre-déchire. Non que des raisons n’aient été légitimes. Mais parce que des opinions, des positions, des convictions divergentes ont mis à mal l’unité et l’entente entre les frères. Du moins un certain temps.
Je souffre moi aussi de cela. Jusque dans mes entrailles de pasteur à qui a été confiée la charge de travailler à rassembler et non diviser. Je souffre — je le confesse — de mes propres maladresses qui peuvent parfois laisser penser que je me laisse aller à privilégier les uns en délaissant les autres. À favoriser les uns en oubliant les autres. Avec mon équipe d’animation paroissiale, j’ai cependant la charge de tenir quoi qu’il en coûte l’exigence de la communion dans le Christ. Déjà, dans les toutes premières communautés chrétiennes, des tensions existaient, jusqu’au risque de l’implosion. Lisez le début de la première lettre aux Corinthiens ! Saint Paul voyait certains se ranger derrière leur « leader » : Pierre, Apollos, Paul ou le Christ. « Le Christ serait-il donc divisé ? », s’écrie Paul. Et c’est par l’image du corps humain, constitué de membres liés les uns aux autres, qu’il explique que « si l’un des membres souffre, tous les autres souffrent avec lui ». Sans oublier que celui qui souffre le plus de nos divisions, c’est le Christ lui-même, le « Christ crucifié ».
Nous vivons ensemble dans une belle paroisse. Les frères et les sœurs qui la composent s’aiment, s’aiment sincèrement. La générosité de chacun mise au service de tous en est le signe. Mais, comme me le confiait quelqu’un récemment, « le Malin n’aime pas quand les gens s’aiment et sont unis ».
Qu’on se le dise : l’unité, ce n’est pas d’être tous du même avis, du même parti ! L’unité n’est pas dans « l’unisson » mais dans « la symphonie », disait déjà Saint Irénée de Lyon au 2ème siècle. Il est normal qu’il y ait de la diversité dans nos communautés.
À condition cependant que nous apprenions à nous « accorder », au sens musical du terme. Or, s’accorder, c’est continuer de s’écouter et de se questionner les uns les autres, sans fausse pudeur. Non en cherchant qui a raison ou qui a tort, mais sans omettre de se demander mutuellement et fraternellement : « comment vas-tu ? » Comme on le ferait dans une famille où l’on s’aime. En ce temps de Carême, aidons-nous, vous, moi, tous, à tenir ce cap !
Père Rémy CROCHU