Faut-il être radical ?
J’emprunte ici le titre d’un article du numéro de l’hebdomadaire de La Croix (février 2023) qui présente une photo sur laquelle on voit un prêtre allemand participer à un blocage de rue, au nom d’une cause écologique qu’il défend, et qui a collé sa main à la super-glue sur le sol ! Des prêtres « radicaux » nous en connaissons. Des laïcs aussi ! Bien malin celui qui pourra dire s’il faut « l’être ou ne pas l’être ». Par tempérament, certains se diront modérés et d’autres radicaux, voire extrêmes ! Et il est vrai qu’on aurait tort de ne pas être extrêmes devant des scandales comme la mort d’innocents, la violence faite aux plus petits.
Souvent, la réaction à la violence est elle-même une violence ! Comme si soigner le mal pouvait se faire par le mal, la guerre par la guerre. Mais nous, français, nous n’avons pas peur de l’équivoque, des joutes, du paradoxe, oubliant de nous poser les bonnes questions : quelle est la fécondité de nos propos ? Que cherchons-nous : à construire ou à nuire ? Le but recherché justifie-il les moyens : la radicalité des mots ou des méthodes ?
On entend parler de « poussée des extrêmes ». Bien qu’opposés — les uns rêvant du « monde d’avant », les autres rêvant d’un « monde meilleur », sans oublier ceux qui sont convaincus « qu’on ne nous dit pas tout » — leur point commun est une certaine radicalité. Albert Camus écrit à ce propos : « Nous vivons dans le monde de l’abstraction, celui des idées absolues et des messianismes sans nuances. Nous étouffons parmi les gens qui pensent absolument avoir raison ». Lesquels veulent bien discuter avec les autres… mais à condition que les autres finissent par penser comme eux ! A ceux-là, l’Évangile demande de ne pas céder à une vision binaire et simpliste de la réalité : les bons et les méchants !
On peut relire en ce sens la parabole du bon grain et de l’ivraie.
Mais, à l’inverse, on trouve les convaincus du « juste milieu », du consensus, et dont la vertu préférée est « la tolérance ». Et il est vrai que, souvent, nous avons dû apprendre à nuancer un point de vue en acceptant de confronter des avis contraires. Pour autant, cette posture, elle aussi, cache plus ou moins bien une forme subtile de violence. Celle-ci consiste à traiter « d’idéalistes » ceux qui aiment les débats d’idées, de « communistes » ceux qui ont le souci du bien commun, de « nationalistes » ceux qui ont de l’estime pour leur nation, et — permettez-moi — de « radicalistes » ceux qui sont attachés à la radicalité de l’Évangile ! Les «-istes » sont toujours inventés par leurs opposants pour justifier une croisade : les « sudistes », les « gauchistes », les « puristes », les « populistes », les « terroristes »…
Nous vivons dans un monde de violents : la guerre en Ukraine, le débat sur le financement de la retraite ou la crise des migrants le démontrent. Si cette violence s’exerçait contre les forces du Mal, ce serait génial ! Mais cette violence oppose et souvent exclut des personnes, des hommes, des frères. Les enfants savent nous le montrer quand, voyant leurs parents lever le ton entre eux, se mettent à pleurer en disant : « pourquoi vous vous parlez comme ça ? » Je me demande parfois si les enfants ne devraient pas prendre le pouvoir. Mais on va m’accuser… d’infantiliste ! Pourtant, Jésus (le Chr-ist !) dit : « Celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas » (Marc 10, 15). De ce point de vue, on constate douloureusement que nous sommes encore loin du Royaume de Dieu !
Père Rémy Crochu