Caricatures et cicatrices
Au moment où les médias nous parlent essentiellement de la « 2ème vague » de la pandémie, nous voyons un autre tsunami, autrement plus dévastateur, se profiler : celui d’une explosion de l’unité nationale (et internationale) sous les coups répétés de la crise économique — qui touche notamment les jeunes et quasiment tous les secteurs d’activité —, de la perte de confiance dans les institutions politiques et étatiques, du repli identitaire et du séparatisme religieux. Ce qui s’est passé à Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre dernier, me paraît à cet égard emblématique.
Dans la rubrique « Courrier » du journal « La Croix » de la semaine dernière, on trouve cette lettre d’un certain « F. P. », à laquelle je souscris totalement.
« Je suis horrifiée au point de me demander si ce crime n’est pas un cauchemar ! Mes premières pensées, compatissantes, vont à la famille de ce professeur ainsi qu’aux jeunes dont cet homme était le professeur. Les secondes m’ont ramenée à une réflexion que j’ai eue au moment de la sortie des caricatures et des événements qui ont suivi. Était-il vraiment nécessaire d’utiliser ces documents dans une période très tendue sur le sujet ? Je ne peux m’empêcher d’évoquer la parole de Jésus dans l’Évangile de Matthieu : « Malheur au monde à cause des scandales ! Il est fatal, certes, qu’il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! » Je crois que cela invite une nouvelle fois chacun d’entre nous à s’interroger sur sa propre responsabilité : la liberté de parole est-elle vraiment sans limites ? Personnellement, je ne le crois pas. Si nous savons que nous pouvons provoquer des blessures, je crois que la prudence s’impose. Surtout quand on s’adresse à de jeunes adolescents. »
Si la fracture sociale ne cesse de s’aggraver en France (c’est une évidence), on se demande quand et comment celle-ci pourrait être enrayée. En laissant croire qu’on peut se moquer de tout et de n’importe quoi (je pense ici spécifiquement à Charlie-Hebdo et sa justification de la dérision), c’est un travail de fracture et non de construction qu’on encourage, et les victimes en sont les plus fragiles, les plus influençables. Et nous savons tous qu’un animal blessé peut devenir terriblement dangereux.
Au temps du Christ, le peuple juif était en guerre. Une vraie, celle-là, comparée à la « guerre » contre le Coronavirus. L’occupation romaine se traduisait non seulement par une présence massive de soldats mais aussi d’étrangers colonisateurs (« Tibériade », « Césarée », « Ptolémaïs »). Dans ce contexte, se multipliaient les tensions entre juifs eux-mêmes : entre communautés, entre clans, entre les couches sociales. Les attentats, les mutineries, les actes terroristes étaient fréquents. Et ce n’était pas encore le pire : l’anéantissement définitif d’une nation, d’un peuple !
Nous aurions tort, nous chrétiens, de choisir la politique de l’autruche (un peu comme Donald Trump qui, avec 250.000 morts du Covid dans son pays, ose dire : « circulez, y a rien à voir »). Nous n’aurions pas moins tort de penser qu’il ne reste plus qu’à attendre « la fin du monde », quitte à chercher à la hâter un peu par notre désespoir ! Il n’y a rien de pire que de ne rien décider, ne rien changer. A commencer dans nos familles, dans nos paroisses. Nous avons bien mieux à faire que de mener une petite vie tranquille ! Aimer n’est pas une option. Travailler à redonner espoir n’est pas réservé à quelques-uns. Réconcilier, se réconcilier, compatir, n’est pas qu’une résolution de Carême ! Prions, aussi. Prions intensément pour nos gouvernants et tous ceux qui exercent une autorité, afin que leurs décisions servent non des intérêts particuliers ou immédiats mais bien celui de tout un peuple et celui des générations à venir qui nous demanderont un jour des comptes.
Père Rémy CROCHU