À vin nouveau, outres neuves
Sous l’effet du manque de prêtres et de la raréfaction des fidèles, la paroisse traditionnelle ne cesse d’évoluer. Sous l’effet d’une transformation accélérée de la société sécularisée aussi. Nous voyons les générations se succéder et s’éloigner des églises, des traditions et de Dieu.
Nous qui avons gardé le lien institutionnel avec l’Église, nous avons assisté au regroupements, à la création de nouvelles paroisses, il y a près de 20 ans. Mais leur forme semble déjà remise en cause puisque, pour servir les 70 paroisses créées, on ne trouve que 52 curés, et il devient même difficile d’en trouver de nouveaux… À la lumière de cette rapide analyse, il ne fait aucun doute que des choix vont devoir urgemment être faits. Mais sur quels critères ?
Qu’est-ce qu’une paroisse ? C’est avant tout une cellule de l’Église diocésaine. Il faut penser la paroisse dans et à partir du diocèse, de cette Église qui réunit un peuple autour de son évêque, sur un territoire plus ou moins vaste. Les cellules que sont les paroisses sont des communautés au sein d’une communauté plus vaste, et ce ne sont pas les paroisses qui font le diocèse mais le diocèse qui fait les paroisses. Elles ne sont pas une « petit diocèse » où le curé jouerait au « petit évêque ». Et quand l’évêque vient dans une paroisse (pour une confirmation, par exemple), on ne l’accueille pas comme un invité mais comme le pasteur de son peuple ! C’est du reste la raison pour laquelle le prêtre ne porte pas l’anneau au doigt : son anneau, c’est son évêque qui le porte !
On ne niera pas pour autant que ce qui constitue la paroisse, c’est sa capacité à rassembler en un lieu une communauté eucharistique que préside le pasteur qui lui a été confié et qui lui rappelle sans cesse : ce n’est pas toi qui a l’initiative de ton rassemblement mais c’est le Christ, Bon Berger.
Or, c’est bien là que se pose le problème, aujourd’hui : nos paroisses semblent dans l’impasse, dans leur difficulté à garantir le rassemblement eucharistique, du moins « comme on l’a toujours fait », c’est-à-dire au plus près, sous le clocher du village ! A cause de la diminution rapide du nombre de prêtre, mais aussi — il faut le reconnaître humblement — du vieillissement d’une génération qui ne trouve pas les moyens ni les signes de son renouvellement.
Le grand danger, devant ce constat, c’est de ne penser la paroisse que pour elle-même (sa vie, son renouvellement) : une paroisse « à côté » et non plus « dans le monde ». Il faut trouver les moyens pour que demain, comme hier, la paroisse reste le lieu où l’expérience du Christ vivant est proposée et vécue (éminemment dans l’eucharistie dominicale célébrée en un lieu unique) et indissociablement comme une communauté résolument tournée vers ceux qui sont à ses « périphéries existentielles » (pape François) : ceux qui la regardent de loin et même ceux qui ne lui demandent rien mais dans le cœur desquels l’Esprit-Saint nous devance, tous ceux qui sont en quête d’un salut, d’un bonheur véritable. De ce point de vue, il n’y a pas un modèle unique de paroisse : chaque paroisse s’inscrit dans un « pays », dans une culture, avec ses atouts et ses limites. Il n’est pas « confortable » d’être chrétien, car cette vocation nous appelle sans cesse à « aller dans le monde entier proclamer la bonne nouvelle du Salut ».
Notre évêque aura, dans les prochains mois, des décisions à prendre et elles nous concerneront, pas moins que les autres.
On peut dire que des choix ont déjà été faits : travailler en synergie entre nos deux paroisses et bientôt avec les paroisses voisines ; encourager ce qui allège la charge structurelle (une seule équipe d’animation, de préparation au mariage ou au baptême, des temps forts communs, etc.). Cela s’est décidé souvent par simple réalisme : nos forces diminuent.
Mais — j’en ai la conviction — de grandes conversions sont encore à vivre. En particulier dans la prise en charge des paroisses par des prêtres déployant un nouveau style de ministère presbytéral ; avec des fidèles appelés à travailler avec ces mêmes prêtres en co-responsabilité de la paroisse ; dans le développement et la reconnaissance de lieux de vie chrétienne sur tout le territoire paroissial (maisonnées, équipes de service, etc.) : des lieux identifiables, rayonnants, appuyés sur la Parole, au service de tous, et avec tous. L’Esprit Saint n’est jamais dans la nostalgie mais dans la nouveauté.
Il y aura toujours des personnes pour s’attacher à leur clocher, leur territoire, leurs vieux modèles, leur passé… Qu’elles se rappellent que Jésus nous a impérativement demandé de « mettre le vin nouveau (de l’Évangile) dans des outres neuves (un monde nouveau et assoiffé) ».
Père Rémy Crochu