« J’ai de la considération pour toi »
Comme il nous est difficile de vivre ensemble ! C’est peu de le dire. Il suffit d’évoquer la difficulté que nous avons à supporter un voisin qui « fait trop de bruit », un conjoint qui « me devient de plus en plus insupportable à cause de ses manies, ses colères, son égoïsme », un enfant qui « n’en fait qu’à sa tête et n’écoute pas ce qu’on lui dit », des politiques qui « décident sans se soucier de l’avis de ceux qui les ont élus », des riches qui « se font des ponts d’or sur le dos des pauvres », des pauvres qui « profitent du système », des musulmans qui « devraient savoir que dans d’autres pays on tue au nom d’Allah »…
On tient de Saint Bernard de Clairvaux (+ 1153) l’éloge de la « considération » dont son dernier ouvrage à valeur testamentaire porte le nom. Par ce mot, il voulait inviter son lecteur à travailler davantage à sa sanctification (la « considération » de Dieu) qu’à ses tâches temporelles (les soucis du quotidien).
J’ai été très impressionné par ce que dit de la « considération » une philosophe contemporaine (Corine Pelluchon) qui rappelle le sens magnifique de ce mot. Il se compose de deux termes : cum-, qui signifie « avec », et sidéralis (sidus) qui renvoie aux astres, à la constellation des étoiles, à l’univers.
Ainsi, « avoir de la considération pour quelqu’un » (y compris pour soi-même), c’est accepter de le regarder dans sa complexité, la constellation de ce qui le compose, et qui pourrait prétendre en avoir fait le tour ? C’est donc refuser de réduire l’autre à une partie de lui-même, fut-elle la plus belle. Ce serait le caricaturer, le défigurer, le méconnaître.
« Avoir de la considération pour quelqu’un », c’est le penser dans la « constellation » des autres êtres humains dont il est l’un des membres (une personne unique dans une communauté de personnes).
« Avoir de la considération pour quelqu’un », c’est toujours le situer dans un contexte qui le façonne : un lieu et une époque. L’homme « en général » n’existe pas !
« Avoir de la considération pour quelqu’un », c’est lui dire : tu es unique, différent de moi, différent de tout autre, même si tu ne peux pas prétendre exister sans les autres.
« Avoir de la considération pour quelqu’un », c’est enfin lui rappeler que d’autres l’ont précédé et que d’autres le suivront, qui lui demanderont des comptes s’il venait à les oublier.
Jésus est, par excellence, celui qui a montré de la « considération » pour autrui. Jamais, dans les Evangiles, il ne parle « aux gens », en général. Il s’adresse à l’un comme il s’adresse à l’autre. Chaque personne est unique pour lui. Jamais il ne la méprise, la caricature ou la réduit à une formule, un acte. Jamais il ne l’identifie à un autre, un groupe, une culture ou une idéologie quelconques. Il ne « déconsidère » personne. En ce sens, Jésus rend à chacun son humanité la plus profonde : voyez comment il s’y prend avec Zachée, Pierre, Marie-Magdeleine, le bon-larron…
Nous avons beaucoup à apprendre de cette vertu de la « considération » qui me fait regarder chaque personne rencontrée comme la voit le Christ : toute une constellation dans le vaste univers !
Père Rémy CROCHU