Le défi de la liturgie
« J’ai désiré d’un grand désir manger cette pâque avec vous ». Par ces paroles, Jésus introduit le repas au cours duquel il instituera le repas de l’eucharistie (Luc 22,15). Ces paroles ont inspiré au pape François le titre de sa lettre de juin 2022 où il a souhaité « partager avec (nous) quelques réflexions sur la liturgie, dimension fondamentale pour la vie de l’Église. » Je ne peux qu’en conseiller la lecture, en des temps où nous voyons nos communautés dominicales s’affaiblir mais où, paradoxalement, des jeunes ou jeunes adultes manifestent un certain goût pour les « belles célébrations »…
J’entends souvent des comparaisons avec une expérience antérieure (« quand j’étais jeune… ») ou bien avec ce qui se passe ailleurs (« cet été, je suis allé à… »). Il est vrai que l’herbe est toujours meilleure dans le pré du voisin…
Le pape connaît tout cela. Et il n’est pas le dernier à souhaiter que « tous les aspects de la célébration (soient) soignés (espace, temps, gestes, paroles, objets, vêtements, chantés, musique…) et (que) toutes les rubriques (soient) respectées » (N° 23) Mais, ajoute-t-il, « même si la qualité et le bon déroulement de la célébration étaient garantis, cela ne suffirait pas pour que notre participation soit pleine et entière. » On ne doit pas se tromper sur ce qui fait la valeur de nos liturgies et qui va bien au-delà des émotions ou de la nostalgie qu’elles suscitent (ou ne suscitent pas) en nous.
Ce qui, dès le commencement de l’Église, fait le cœur de la liturgie proprement chrétienne, c’est la célébration de la présence invisible mais réelle du Christ ressuscité. « Dès lors, la célébration devient le lieu privilégié – quoique pas le seul – de la rencontre avec Lui » (N°33). Nous avons de bonnes raisons de souhaiter que les prêtres qui nous sont donnés soient à la hauteur de cette mission, la liturgie étant un lieu essentiel de leur action pastorale.
Mais le pape François nous rappelle ce que le Concile Vatican II avait rappelé avant lui : « c’est l’Église, le Corps du Christ, qui est le sujet célébrant et non pas seulement le prêtre » (N°36). En ce sens, on ne peut pas dire : « j’ai assisté à la messe du père machin ». Beaucoup de progrès ont été accomplis dans l’intelligence de la liturgie. Mais « comprendre » est une chose » la « vivre » en est une autre. La vivre comme un lieu privilégié où le Christ nous rejoint et nous transforme en lui. Ce que Saint Léon le Grand traduisait ainsi : « Notre participation au Corps et au Sang du Christ n’a d’autre fin que de nous faire devenir ce que nous mangeons ».
Une difficulté majeure des temps où nous sommes vient de ce que « l’homme moderne est devenu analphabète, il ne sait plus lire les symboles, il en soupçonne à peine l’existence » (…). « Nous n’avons plus le regard de saint François qui regardait le soleil – qu’il appelait frère parce qu’il le sentait ainsi – le voyait “beau et rayonnant, avec une grande splendeur” » (N°44). Encourager l’art de déchiffrer, dans le visible de la Création, la présence invisible et les mots inaudibles de Dieu devient une urgence absolue.
Tout en même temps, rappelle le pape François, « l’art de célébrer doit être en harmonie avec l’action de l’Esprit Saint » (N°49). En d’autres termes, croire qu’à travers les pauvreté de nos célébrations et de ceux qui les célèbrent, c’est Dieu qui passe et agit dans les cœurs. Un chant, un mot, un geste, un silence : nous devons croire que Dieu emprunte ces moyens-là, le plus souvent à notre insu, rappelant à ceux qui célèbrent, prêtres et fidèles, de ne pas tirer orgueil de ce qu’ils font ou disent…
Père Rémy