« Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? » (Mt 18, 33)

Pardonner. Mais de quoi s’agit-il, quand nous parlons de pardon ? Le Notre-Père, dans sa cinquième demande, nous fait dire : « pardonne-nous nos offenses (sous-entendu « envers toi »), comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé ». Ce qui pourrait laisser penser que nous pourrions « offenser » Dieu, lui porter atteinte. Le terme “offenses” n’est pas la meilleure traduction, de ce point de vue, nous disent les exégètes. Ils savent en effet que le terme biblique utilisé est le mot “dette” : « Remets-nous nos dettes comme nous remettons leur dette à ceux qui nous doivent ». C’est bien ce que met en scène la parabole du jour.

Or, de quoi sommes-nous « en dette » envers Dieu, sinon la dette de l’amour ? Ainsi, demander pardon à Dieu, ce n’est pas lui dire : « nous t’avons fait du mal, excuse-nous ! ». C’est en quelque sorte lui dire : « Toi qui nous aimes, nous reconnaissons que nous ne t’aimons pas » ou « ne t’aimons pas assez. »

En conséquence, nous pouvons comprendre que pardonner « à ceux qui nous ont offensés », c’est consentir, comme Dieu le fait pour nous, à continuer d’aimer ceux qui nous ont ignorés ou blessés, et qui sont en dette d’amour envers nous.

Un enfant se vexe de sa mère qui refuse de lui offrir ceci ou cela, et il lui fait le reproche : « Tu ne m’achètes jamais rien ! ». La maman ravale sa salive, puis elle se dit que cette ingratitude montre bien que sa fille a encore du chemin à faire pour savoir aimer avec reconnaissance ! Un père corrige son enfant et le blesse par une parole humiliante. L’enfant va devoir apprendre à pardonner à son père. C’est-à-dire apprendre à penser que son père, aussi formidable soit-il, ne l’aime pas à la hauteur de l’amour qu’il doit témoigner pour lui…

Pardonner, n’est pas ignorer le mal qui a été fait — ou le bien qui n’a pas été fait ! — : c’est donner de l’amour par-delà le mal qui a été fait et par-delà l’amour qui n’a pas été donné. C’est “par-donner”, c’est donner “par-delà”. Certes, il y a des choses impardonnables. Et Jésus lui—même n’a pas “pardonné”, si “pardonner” veut dire “justifier” ou “accorder des circonstances atténuantes”. Un mal est un mal. Une faute est une faute. Mais pardonner, c’est dire au frère ce que Dieu nous dit : « je ne te réduirai pas à tes actes ou à tes paroles » ; « tu vaux bien plus que ce que tu as fait » ; et encore : « l’amour couvre une multitude de péchés » (1Piere 4, 8).

Cependant, si pardonner, c’est aimer malgré tout, c’est au-dessus de nos forces. Faut-il se résigner en pardonnant du bout des lèvres ou en se disant : « Aujourd’hui, non, mais peut-être qu’un jour… » ? Non. Jésus nous demande de le faire « du fond du cœur » et tout de suite. Et comment y arriver sinon en sollicitant et sollicitant encore la Force que Dieu communique, son Esprit-Saint ?

Sainte Thérèse d’Avila, qui semble avoir éprouvé cette difficulté du pardon impossible, écrivait :  « Lorsque le préjudice est tel qu’il nous est humainement impossible de pardonner, fixons notre regard sur Jésus : Sur la croix, il prie pour ceux qui le font mourir : “Père pardonne-leur !” (Lc 23, 34) “En sa personne, il a tué la haine” (Ep 2, 16). Lui seul, par son Esprit peut nous donner la force de l’impossible. »

Père Rémy Crochu, curé.

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